Print this page

Comment faire croître la proportion d’ingénieurs parmi les décideurs publics ?

Par François Xavier Martin, Ingénieur, Diplômé de Sciences Po Paris

En ce début du XXIème siècle, on aurait pu s’attendre à ce que les ingénieurs jouent un rôle de plus en plus important dans la prise de décisions de type régalien affectant nos sociétés dont la dépendance vis-à-vis d’objets, de systèmes et de services techniques ne cesse de croître. Or, au moins dans le monde occidental, le rôle de l’ingénieur dans ce domaine se limite bien souvent à la fourniture d’avis techniques à des décideurs des mondes administratif et politique généralement issus d’autres formations.

En France les bons élèves du secondaire obtiennent majoritairement un bac S et beaucoup des meilleurs titulaires de ce bac se dirigent ensuite vers des études d’ingénieur. Limiter leur rôle ultérieur dans les grandes décisions publiques ne va donc pas dans le sens d’une utilisation optimale des ressources intellectuelles du pays.

Une faible proportion de directeurs d’administrations et d’élus ayant bénéficié d’une formation scientifique

Dans l’Administration, depuis la création en 1945 de l’ENA, ses anciens ont peu à peu progressé dans l’acquisition d’un quasi-monopole dans les postes de réel pouvoir. Simultanément, de nombreux énarques se sont lancés dans la politique, et ceux arrivés à des postes gouvernementaux ont eu tendance à promouvoir aux postes administratifs importants et dans les cabinets ministériels des fonctionnaires issus de la même formation.

Les élus locaux ou nationaux constituent une population plus variée : on y trouve par exemple des membres de professions libérales et des personnes ambitieuses pour qui l’engagement politique suivi d’une élection offre des perspectives de progression intéressantes (cas typique des attachés parlementaires).

Il y a assez peu d’ingénieurs parmi ces élus. De temps à autre l’un d’eux qui s’est distingué dans la société civile est nommé ministre, non sans difficulté d’intégration à ce nouveau milieu.

Les formations françaises actuelles d’ingénieurs

Les formations françaises actuelles d’ingénieurs comprennent généralement deux ou trois ans de classes préparatoires scientifiques (ou parcours d’un niveau jugé équivalent : licence universitaire scientifique obtenue avec brio, « prépa intégrée », …) puis, après un concours d’admission, trois ans dans une école décernant un diplôme d’ingénieur donnant un grade de master (durée pouvant être allongée pour permettre l’obtention d’un autre master, souvent dans une université étrangère partenaire).

Hors de France la majorité des ingénieurs commence à travailler après obtention d’un bachelor (3 ou 4 ans d’études supérieures). La minorité qui souhaite entreprendre des études de niveau master le fait souvent après plusieurs années d’expérience professionnelle post-bachelor.

Les ingénieurs français passés par les classes préparatoires estiment généralement que celles-ci leur ont apporté la rigueur de raisonnement et l’essentiel des connaissances scientifiques, dont en particulier les outils mathématiques, qui leur permettent d’exercer leur métier d’ingénieur.

Formations et postes publics de pouvoir

En ce début du XXIème siècle la compétence et l’autorité ne sont plus des qualités suffisantes pour exercer des postes de pouvoir. Pour diriger les hommes, il faut, comme disaient déjà les grands classiques, être capable de « séduire, émouvoir, convaincre » (Cicéron), combiner « esprit de géométrie et esprit de finesse » (Pascal). Or si les ingénieurs manquent rarement d’esprit de géométrie (ce qui les amène souvent à penser que pour emporter l’adhésion il suffit de démontrer en apportant des arguments logiques), certains d’entre eux manquent d’esprit de finesse. A l’opposé, beaucoup de Sciences Po (formation post bac par laquelle sont passés beaucoup d’énarques) ont d’indéniables qualités de finesse, et tous sont conscients de l’importance de la forme dans toute présentation de décision. Mais il faut noter que le manque d’esprit de géométrie de certains d’entre eux n’est pas un obstacle à l’obtention de leur diplôme (ni à la poursuite de leur cursus à l’ENA).

Si l’on ajoute à cette différence entre profils le fait que les cursus d’écoles d’ingénieurs ne dispensent pas de formation suffisamment approfondie dans certains domaines indispensables à l’exercice de hautes responsabilités publiques (droit administratif, finances publiques, géopolitique,...) ceci cantonne la plupart de leurs diplômés travaillant dans le service public dans des fonctions d’expert technique ou de direction d’entités ayant un mode de fonctionnement voisin de celui d’entreprises privées.

Pour la création d’une « Ecole d’Affaires Publiques » originale

Une politique d’augmentation du nombre d’ingénieurs parmi les décideurs publics demande la mise en place au sein d’une fédération d’écoles d’ingénieurs d’une véritable « Ecole d’Affaires Publiques » (1), qui garantirait, en sus de la formation habituelle dispensée dans ce genre d’établissement, une rigueur de raisonnement et un niveau scientifique de ses diplômés supérieurs à ceux de la plupart des anciens d’autres écoles d’affaires publiques françaises ou étrangères. Ceci pourrait constituer un avantage distinctif, en particulier dans les candidatures à des postes de certains organismes internationaux.

Un recrutement de qualité

Le recrutement d’une telle « Ecole d’Affaires Publiques » aurait lieu dès le succès au concours d’entrée dans une des écoles d’ingénieurs constituant la fédération (via l’une des voies d’accès en vigueur rappelées dans le paragraphe sur les formations françaises d’ingénieurs). Les jeunes filles et jeunes gens intéressés auraient alors des entretiens permettant d’évaluer la solidité de leurs motivations et l’adéquation de leurs capacités avec une formation préparant à des fonctions publiques du plus haut niveau.

Une formation exceptionnellement ambitieuse

Les élèves de l’Ecole d’Affaires Publiques commenceraient leur scolarité par un an d’enseignement accéléré dans les domaines de l’économie, du droit, de la sociologie, de la géopolitique, sans oublier des sciences de la vie et de l’environnement, absentes des cursus préparant aux concours d’entrée dans la plupart des écoles d’ingénieurs. Ils perfectionneraient leur expression écrite et orale en français et en anglais. Leur serait décerné en fin d’année un bachelor

Ils entreprendraient ensuite un parcours débouchant sur deux diplômes, en commençant par un master de leur choix dans une institution partenaire, le plus souvent étrangère. Ils pourraient choisir entre des programmes traitant de problématiques auxquelles ils sont susceptibles d’être confrontés dans leur future vie professionnelle. La seule contrainte serait d’assurer au sein de leur promotion une bonne répartition des choix, afin de ramener de ces masters variés une expérience collective le plus large possible.

Ce master obtenu, ils reviendraient en France pour recevoir un enseignement spécifique. Compte tenu du niveau de ces étudiants reçus au concours d’entrée dans une des écoles d’ingénieurs partenaires, de leur mode de sélection original pour l’entrée dans cette filière et enfin de leur rassemblement dans la dernière phase de leur cursus qui leur permettrait de s’enrichir mutuellement des expériences qu’ils viendraient d’acquérir dans d’excellentes écoles ou universités internationales, cet enseignement final et le diplôme correspondant pourraient prétendre à un des tout premiers rangs au niveau mondial pour l’accès à des postes publics de pouvoir

Le cursus de cette phase finale de formation comprendrait une alternance entre cours, projets et études de cas, stages dans des administrations, des assemblées élues, des entreprises dont au moins une PME ; si possible il inclurait également le suivi d’une campagne électorale.

Trois spécialisations seraient envisageables : Administration française, Institutions européennes et internationales, Fonctions électives. 

1. Nom provisoire